Refonder le parti de l'écologie politique (François Lotteau)
Refonder le parti de l’écologie politique
La pensée écologiste s’est largement implantée dans la société, dans les sociétés du monde. Les pratiques écologistes se sont développées sous de multiples formes, inspirent une grande variété de modes de vie, de militantismes, d’actions protestataires. Toutes ces formes mettent en question à des degrés divers les modèles politiques et économiques dans lesquelles elles apparaissent et se développent. Elles sont politiques. Elles s’opposent à l’idéologie capitaliste d’accumulation, de compétition, de prédation, de concentration du pouvoir entre quelques mains, comme à toute idéologie inégalitaire et liberticide. La réalisation de Soi, d’un soi social qui est bien plus large que le moi individuel tout en étant un projet personnel, englobe la défense de la nature et de l’humain qui en fait partie.
L’écologie est un projet politique de transformation des rapports humains et des rapports de l’Homme avec la Nature. Cependant, peu de gens s’engagent dans le parti qui porte ce projet, peu de gens votent pour ses candidatEs lors des divers scrutins électoraux, même lorsqu’ils vivent et luttent selon ses principes.
Considèrent-ils que voter dans un système qu’ils réprouvent ne sert qu’à l’entretenir ? Jugent-ils que ce parti ne les représente pas ? Nous pensons qu’un parti politique est un levier nécessaire. Nous pensons qu’il s’agit de convaincre mais qu’il faut accepter de nous remettre en question pour sortir des impasses, redresser les dérives, éviter les pièges sans cesse posés sur notre route. Les écueils sont inévitables lorsque l’on choisit d’être présents dans le monde tel qu’il est, lorsque l’on se refuse à avoir raison tout seul en se drapant dans des vérités aussi nues qu’inutiles tant qu’elles restent le propre d’un cénacle isolé du réel. Les tentations du monde politique ne nous épargnent pas. Notre organisation elle-même s’expose au risque d’un mimétisme ravageur.
Après nous être ouverts à tous les vents venus des horizons multiples de l’écologie, après avoir osé la mutation avec un courage politique qui n’existe pas ailleurs, après avoir voulu apporter au monde politique notre contribution et réussi à nous y implanter, après nous être confrontés à tous les dangers dont le plus grave nous guette aujourd’hui, celui de la dispersion dans la discorde, nous devons maintenant nous rassembler, rassembler nos affaires et nos outils et reprendre notre bâton pour un nouveau voyage. Nous avons besoin de nous retrouver, de nous refonder.
Les textes fleurissent, en ce temps de pré-congrès. Ils parlent tous de changement, de rassemblement, de renouveau. Il serait bien triste que tout cela ne soit que rhétorique, que tous ces textes qui rivalisent de générosité et piaffent d’impatience pour un avenir meilleur ne soient que de circonstance. Je veux croire à leur sincérité. J’en ai signé certains, arrivés plus tôt que d’autres que je signerais aussi volontiers. Mais quelle importance, finalement, donner à la présence de son nom au bas d’un texte si c’est pour que d’autres se disent : « tiens, machin, de telle sensibilité, a signé ça, qu’est-ce que ça veut dire, est-ce qu’il change de groupe, est-ce qu’il manœuvre, cherche-t-il une place ici ou là ? ».
Suis-je nostalgique d’un enthousiasme perdu ? Je n’étais pas « chez les Verts », ce qu’ils étaient ne peut pas me manquer. J’ai cru à l’élan d’Europe Ecologie et j’ai adhéré au processus EELV. Et puis … rien. Ce que j’espérais n’est pas venu. J’ai trouvé tant de choses pénibles, éprouvé tant de déceptions que j’ai souvent failli remettre mes chansons dans ma guitare et retourner là où j’étais pénard. Mais je n’étais pas venu en touriste, j’avais décidé de contribuer à la construction de quelque chose. Je pense encore que ce quelque chose est si important qu’on ne peut s’en détourner parce que l’on est simplement déçu du comportement de quelques-unEs. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, ceux qui se réjouissent d’avoir arraché, par exemple, un amendement applicable aux calendes grecques dans une loi qu’ils trouvent ainsi assaisonnée à leur goût. C’est toujours ça de pris ou d’évité, d’accord, mais le rôle du parti de l’écologie politique ne peut se résumer à l’obtention d’aménagements à la marge si cela ne fait pas levier pour des changements plus grands. Qu’on me montre le point d’appui qui permettra, avec quelques grammes d’écologie, de soulever les tonnes de productivisme, de libéralisme, de clientélisme, d’arrivisme, de compromission, de soumission aux lobbies, de détournement d’argent public, de mépris du bien commun, de court-termisme, d’électoralisme, de tromperie, de gabegie, de nucléocratie, de pauvreté organisée, de famine volontaire, de destruction de la nature, d’enflure égotique qui sont le carburant du pouvoir auquel nous participons.
Nous ne croyons pas au grand soir, nous ne voulons pas de révolution sanglante, mais croyons-nous davantage qu’il soit possible de changer le « système » de l’intérieur ? Chaque reculade, chaque compromis réaliste n’est-il pas, en fait, un petit Munich qui nous mène, sous anesthésie, au pire ? Comment résoudre cette contradiction dans nos choix d’action politique ?
Insensiblement, les limites infranchissables se brouillent, jusqu’à pouvoir être franchies. Le PS est tombé dans ce piège dès 1983 et, cette fois, en assumant son idéologie sociale-libérale dès après son retour au pouvoir. Pendant qu’il devenait la version soft de la droite libérale, le reste de la gauche était incapable de sortir de son dogmatisme. Un moment, l’écologie politique a commencé d’être perçue comme l’alternative capable de réconcilier l’aspiration sociale à mieux vivre et la préservation de la planète dans le respect des droits des peuples. Mais dans notre pays, pourtant pionnier de la volonté d’insérer l’écologie dans la vie politique, la tentative s’étiole, elle ne résiste pas à la marginalisation organisée par le parti dominant qui nous affaiblit comme il a affaibli le PC pendant qu’il fait monter le FN. Or, nous n’étions pas sur le déclin idéologique de la vieille gauche collectiviste et nous restons porteurs de l’alternative sociale et politique au capitalisme. Pourquoi nous résoudre à disparaître ?
Nous disons souvent, en interne, que nous devons définir les lignes rouges de ce qui est inacceptable pour l’écologie politique et nous rassembler en-deçà de ces barrières. Chaque sujet environnemental, chaque question sociétale, chaque lutte sociale peut dessiner une ligne rouge. Nous pouvons les lister et jurer que jamais notre main ne signera de reddition en rase campagne dans aucun de ces domaines, mais en réalité toutes peuvent se résumer en une seule : opposons-nous à tout ce qui provoque le déclin de l’écologie politique et favorisons tout ce qui va dans le sens de son développement. Il ne s’agit pas de nous séparer sur des lignes de fracture mais de trouver le point d’appui qui rendra efficace notre levier. Nous avons, majoritairement, pensé que ce pouvait être l’obtention de groupes dans les représentations nationales et la participation gouvernementale. Nous sommes en train de constater que les avancées obtenues par ce biais ne compensent pas les inconvénients et que cela ne fonctionnerait que si une dynamique amenant à augmenter notre poids parlementaire se faisait jour, mais il n’en est rien. D’ailleurs ceux qui sont responsables de ce choix l’ont bien compris et tiennent aujourd’hui un discours à gauche qui aurait été en son temps incompatible avec un accord de gouvernement avec le PS. A l’approche du congrès, il faudra bien que, au travers du choix des personnes réunies en listes concurrentes, les volontés de changement ou de continuité s’éclaircissent. Un grand beau texte comme à La Rochelle sera-t-il encore possible pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes ? Mieux vaut être sans fard dès maintenant et dire ce que nous voulons. Ou bien la participation à la majorité gouvernementale est une stratégie pour développer l’ancrage institutionnel de l’écologie politique et nous travaillons ensemble la question du levier ou bien nous en revenons aux lignes rouges et à l’opposition frontale à ceux qui les dépassent. Il va bien falloir décider de voter ou non le budget, par exemple. Le verre ne pourra pas être à moitié vide ou à moitié plein, ce sera oui ou non. Nous pouvons dès maintenant décider de ce qui, pour faire avancer l’écologie politique, constituera un ancrage suffisant et de ce qui bloquerait durablement tout progrès de notre alternative. Que nos ministres, à titre personnel, restent, partent ou se fassent jeter dehors n’est pas le problème. Ce qui compte c’est le vote de nos groupes parlementaires. Devront-ils voter le budget, quel qu’il soit ? Pourront-ils, le cas échéant, ne pas le voter et de fait sortir de la majorité gouvernementale ?
Même chose pour ce qui est des conflits sociaux qui s’annoncent avec, comme point d’achoppement central, la question des retraites. Où nous situerons-nous ? L’écologie politique a sa parole propre sur l’âge de la retraite, les pathologies du travail, la fin de l’allongement de l’espérance de vie, le partage et la valeur même du travail, etc. Nous satisferons-nous d’amender à la marge un projet qui s’annonce comme un nouveau recul social ? Si tenaces soient nos parlementaires, s’ils n’obtiennent rien de décisif, dirons-nous, constatant qu’ils auront fait leur travail du mieux possible, que nous devons nous en contenter ?
Autrement dit, pour ce qui est du congrès, aurons-nous un Bureau exécutif apte à se déterminer sur de tels enjeux ou bien les dés auront-ils été jetés du fait de l’avancement des travaux parlementaires d’ici fin novembre ? L’élection du BE reviendra-t-elle à donner une majorité dans le parti aux choix de nos parlementaires ? Quels que soient ces choix, ce sera une évolution du parti dans le sens du fonctionnement politique dominant, c’est-à-dire sans base, sans pouvoir de décision aux militantEs, sans lien avec les luttes sociales et environnementales autre que celui décidé par les éluEs.
J’en reviens donc à dire que l’enjeu du congrès est bien de décider de la nature du parti que nous voulons, pas de sanctionner ou de donner un satisfecit à notre action gouvernementale, ce qu’il y aura cependant à faire lors de la conférence de bilan. L’avenir du parti de l’écologie politique sera dans sa capacité à ne pas mettre tous ses œufs dans le panier de son implantation institutionnelle, dans son aptitude à fonctionner démocratiquement avec un Conseil fédéral représentatif de la réalité du mouvement écologiste, un bureau du CF qui assure son fonctionnement avec plus de moyens qu’il n’en a aujourd’hui pour le suivi des motions et un bureau exécutif qui met en œuvre ses choix. Ce n’est pas sur de belles paroles, d’où qu’elles viennent, qu’il faudra déterminer la composition de notre représentation politique interne, c’est sur la confiance que nous aurons dans celles et ceux qui se présenteront à nos suffrages pour développer l’écologie politique avec la capacité de sortir du cadre contraint de la dépendance au PS dans un nouvel équilibre entre l’avancée institutionnelle, notamment dans les collectivités territoriales, et l’avancée de l’alternative que nous proposons à la société.
Rassemblons les textes, leurs auteurs et leurs signataires et discutons ensemble dans une grande Agora du changement lors des journées d’été. Tout cela est largement trans-courants et certainement largement majoritaire dans notre parti. Faisons émerger cette volonté commune de donner une voix plus forte à l’écologie politique pour qu’elle incarne vraiment l’espoir, débarrassée des contingences, une voix à nouveau libre, même si nous restons compagnons de route des autres forces de changement, la voix de la Gueule Ouverte, de la décroissance heureuse, de l’utopie concrète, la voix qui cherche : « où est cette maison toutes portes ouvertes, que je cherche encore et que je ne trouve plus » … et si c’était notre parti ? et si notre parti n’en était pas un mais si « ce n’était rien de déjà vu ou déjà entendu », s’il « brillait au soleil comme un fruit défendu » ? Que les rabat-joie viennent me contredire sur ce terrain, qu’ils me montrent le bénéfice de leurs artifices, qu’ils apportent la preuve de l’efficacité de leur réalisme. On juge l’arbre à ses fruits.
François Lotteau. Rully, 25/07/2013.
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