LE SYNDROME DE LORENZACCIO (François Lotteau)
Que « nous » arrive-t-il ? « Nous » sommes devenus invisibles et illisibles dans le paysage politique. Etc.
Sur les listes d’EELV, à tous les niveaux, ces questions appellent depuis quelque temps de plus en plus de réflexions, d’explications, de propositions de solutions.
Si « nous » avons collectivement, majoritairement, donné pour mission à notre exécutif d’obtenir un groupe à l’Assemblée Nationale et au Sénat et de participer au gouvernement, pouvons-nous reprocher à celles et ceux qui ont orienté le fonctionnement du parti pour y parvenir, d’y être parvenus ?
« Nous » pouvons estimer que d’autres voies auraient pu « nous » amener à ce résultat, plus respectueuses de la démocratie interne. Mais avions-nous inscrit collectivement cette exigence de moyens comme indissociable des objectifs à atteindre ? N’avons-nous pas admis, sans nous le dire, que la décision politique de participer au fonctionnement d’un système politique que nous réprouvons, avec la volonté de le transformer de l’intérieur, impliquait un risque de contamination qui serait acceptable si « nous » demeurions solides sur nos bases ? N’avons-nous pas cru que nous saurions échapper au « syndrome de Lorenzaccio » qui, voulant tuer le Doge de Venise, doit pouvoir s’en approcher, entre à sa cour et bénéficie des avantages que cela procure, se souvient de ses motivations initiales mais ne parvient plus à les faire siennes ?
Si ce « nous » existe, que j’inscris entre guillemets depuis le début de ce texte, comment faire grief à quelques-uns de ce qui est de notre commune responsabilité ? Pourquoi accuser ou défendre, selon que l’on considère les échecs ou les réussites, et cristalliser sur des individus la honte de « nous » avoir précipités dans un fonctionnement clientéliste ou la gloire de nous avoir fait grandir en parti de gouvernement ? Ces mêmes personnes ne tirent-elles pas aujourd’hui de la pratique les mêmes interrogations que chacune et chacun d’entre nous sur les avantages et les écueils des choix qui ont été faits et qui s’accompagnent, quel que soit le bilan qu’on en fait par ailleurs, de l’invisibilité et de l’illisibilité qui font l’objet de ce propos ?
Quel est, donc, ce « nous » ? Qui sommes-nous ? Il faut s’arrêter un instant sur ce que signifie la volonté commune d’une action politique. La forme « parti » qui appelle ce « nous » d’appartenance n’est qu’une forme d’organisation parmi toutes celles qui ont pour objectif de changer de/la société, de civilisation, de monde. Cette appartenance n’est pas exclusive. Je « n’appartiens » pas à un parti comme on se donnerait de tout son être à un amour absolu. Le « nous » politique n’est pas, en démocratie, une transcription collective d’une passion individuelle. Reste que la forme « parti » est l’un des avatars d’une nécessité présupposée d’organisation.
J’appartiens à un parti comme je me confie à un moyen de transport pour aller d’un point à un autre. C’est un transport en commun, avec ses règles de conduite et une confiance liée au fait que le chauffeur ne fait pas ce qu’il veut mais ce qu’il doit, selon un commun accord. Il a une liberté d’initiative pour remplir son contrat : mener ses passagers à bon port. Mais il n’est pas un guide, il ne choisit ni le point d’arrivée ni les étapes du trajet. Si l’on se perd en chemin ou si le lieu d’arrivée ne correspond pas à leurs attentes, ce sont les passagers qui prennent les décisions qui s’imposent. A chaque étape certains descendent, d’autres montent. Des correspondances pour d’autres directions auront conduit les-uns à changer de ligne, tandis que les nouveaux s’embarquent pour aller plus ou moins loin vers le terminus. Dans la réalité, la ligne n'est pas tracée, les décisions sont à prendre au fur et à mesure de l’ouverture de la voie, selon le terrain rencontré et l’évolution de la composition du groupe de voyageurs.
Le « nous » est donc variable. Il ne peut perdre ses guillemets sur l’établissement d’une liste de noms. Le « nous » du mouvement de l’écologie politique est celui qui reconnait l’orientation vers le lieu à atteindre, le « nous » du parti est celui du choix d’un outil qui défriche un des chemins sans exclure les autres.
Dany nous dit que la forme parti ne peut être un moyen de parcourir un chemin parce qu’elle nécessite des chefs de tente qui, à une étape ou une autre, agrègent autour de leur campement une cour et des obligés et leur font adorer le Veau d’or au lieu de poursuivre la route. Pour atteindre la Terre heureuse, on sait depuis Moïse qu’il ne faut adorer aucune idole et l’on savait depuis Abraham que la toute-puissance est extérieure à l’Homme et que seul le pouvoir humain commande de tuer. Le pouvoir corrompt, face au pouvoir que faire ? Le constat plurimillénaire du mal inhérent au pouvoir, sans cesse revérifié jusque dans la perversion de l’idéal communiste ou celle de la liberté dans le « réalisme » capitaliste doit-il nous écarter de toute idée d’action ?
La pensée de l’écologie politique est la seule que je connaisse qui apporte une réponse à ce nouveau « Que faire ? ». Elle inclut les pensées de la diversité, de la complexité, de l’altérité, amenant les constats et les aspirations qu’elles contiennent dans le champ de l’action politique. Je comprends que certains, après avoir beaucoup contribué, s’épuisent, soient désabusés ou aient envie de prendre d’autres orientations dans leur vie personnelle constatant les impasses politiques actuelles. Mais cela ne conduit pas, Dany et Besset ne le disent d’ailleurs pas, à tirer un trait définitif sur toute tentative de construction d’une alternative politique.
Que faire, donc ? Il n’y a sans doute pas de réponse complète, seulement des indications sur le bout de chemin qui est à tracer maintenant et demain.
D’abord constater ensemble, tenants de la participation gouvernementale et plus largement de la ligne suivie des « mains dans le cambouis » et opposants ou réticents au compromis, tenants d’une forme d’efficacité et leurs contempteurs, que nous sommes, nous-parti-politique, dans une situation incompréhensible en-dehors de notre petit cercle, illisibles et devenus invisibles.
Puis, réapprendre à communiquer à l’extérieur. Lancer à nouveau le message de l’écologie politique. Nous ne sommes pas dans l’impasse, nous sommes seulement dans la nasse avec ceux que nous avons cru aider à évoluer. Continuons de tendre la main à ceux qui ne veulent et ne peuvent pas encore prendre conscience qu’il n’y a pas de solutions dans l’incantation de la recherche de « croissance », opposons-nous clairement à ceux qui, manifestement, ne sont que les valets de la finance, etc.
Parlons. Faisons connaître ce que nous savons du devenir du monde et des solutions qui existent. Ne nous laissons pas jeter, la prochaine fois, avec l’eau du bain par le fascisme renaissant.
Nous le faisons déjà, diront certains, fâchés des reproches qu’ils croient venir d’une opposition systématique à la mentalité indécrotablement minoritaire qui n’aurait d’autre objectif que de détruire. Très bien, faisons-le davantage, et ensemble cette fois. Les causes se défendent, se gagnent, se perdent, pour un temps. On peut se trouver isolé et avoir raison, mais on ne peut pas ériger en principe d’avoir raison tout seul, que ce soit en situation d’opposition ou en situation de pouvoir.
C’est un peu niais, sans doute, mais j’ose dire qu’il y a dans ce parti beaucoup plus de gens de bonne volonté que d’arrivistes ou de paranoïaques. Cessons de nous accuser d’appartenir à l’une ou l’autre de ces deux catégories. Privilégions la bonne volonté. Je vous ai prévenus, je suis niais. Ne faut-il pas l’être pour croire que ce monde peut changer, que nos rêves peuvent empêcher certains de dormir, qu’on peut vivre avec les tritons dans les forêts d’Amazonie, de la Bretagne nantaise ou du Morvan, que le plein-emploi est naturellement de retour dès que l’on empêche les profiteurs de vivre sur notre dos en nous imposant l’inutile ?
Ami, entends-tu le vol noir …
Nous construisons sur les ruines du vieux monde, avec de la récup, avec de l’imagination, avec les invasions barbares qui achèvent l’Empire. Nous sommes entrés en période de Transition. Comment pourrions-nous ne pas être la voix politique qui porte ce changement ?
Je ne sais pas comment nous allons recomposer nos « courants » lors de notre prochain congrès, mais je suis sûr que l’avenir se construira avec l’écologie politique. Ce sera sans notre parti si nous ne parvenons pas à nous projeter au-delà de nos cadres étriqués, je ne veux pas croire au gâchis que nous ferions alors des espérances que nous avons contribué à faire éclore. Respirons, ouvrons les fenêtres, le désespoir n’est pas dans notre nature.
A découvrir aussi
- NOUS VOULONS UNE ÉCOLOGIE RÉCONCILIÉE (Alain Coulombel)
- POUR UN RETOUR AU FEDERALISME ECOLOGISTE (Eric Mourey Co-secrétaire EELV-58, membre CPR-Bourgogne)
- Au sort citoyens! (Pierre-andré ACHOUR GL METZ)
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 16 autres membres