Au sort citoyens! (Pierre-andré ACHOUR GL METZ)
Au sort citoyens!
Une très grande majorité d’entre nous en convient : l’horizon s’assombrit, prélude à de graves dysfonctionnements, lorsque le désastre écologique qui nous pend au nez s’y adjoindra. Et à une échelle inédite jusqu’à présent.
Devant l’ampleur et la complexité des décisions à prendre, les citoyens devraient pouvoir s’appuyer sur leurs représentants.
Or ce que l’on observe, c’est l’augmentation du désarroi, de la désillusion, de la méfiance même, à leur endroit ; et le développement de l’abstention ou du vote protestataire signe bien l’éloignement progressif de leurs représentants traditionnels par un nombre croissant de citoyens.
Si les raisons de cet éloignement sont nombreuses — pas toutes d’ailleurs de la seule responsabilité des élus — où celle-ci en revanche est engagée, totalement, absolument, imparablement engagées, c’est dans leur manière de « faire de la politique ».
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Que faire, si l’on reste convaincu que la démocratie représentative reste la moins mauvaise manière de gérer les sociétés complexes ?
S’atteler à la mise en œuvre de mesures simples et voici deux propositions :
Fin du cumul des mandats et arrêtons les simagrées : un mandat unique non renouvelable. Tout a été écrit sur les inconvénients majeurs de cette pratique qui transforme peu à peu nos représentants en professionnels dépendants de leur réélection. (Pour garder un statut social et les revenus de toutes sortes qui l’accompagnent, les symboliques comme ceux, plus simplement, qui leur procurent un train de vie très largement au-dessus de la grande majorité des citoyens qu’ils sont censés représenter).
Cette logique infernale les éloigne alors inexorablement de l’intérêt général au profit de leurs intérêts personnels.
Or, nos futurs élus, ceux qui doivent nous intéresser, sont les citoyens qui exercent et comprennent la fonction d‘élu comme une mission de service public, puis retournent à leurs activités professionnelles à l’issue du mandat.
Un beau progrès certes, mais insuffisant. Aussi, cette mesure pourrait être accompagnée d’une autre, plus radicale, qui viendrait compléter et renforcer le dispositif : l’utilisation, pour la désignation des représentants du peuple de la sélection aléatoire, plus connue sous le nom de tirage au sort.
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Fondement de la démocratie athénien, utilisé par des Républiques italiennes au Moyen-Âge, le tirage au sort retrouve une nouvelle jeunesse dans les pratiques politiques modernes.
Mais son usage consultatif est limité aux dispositifs d’accompagnement de la décision politique (jury-citoyen, conférence de consensus par exemple). La décision politique, elle, reste le bac à sable d’un personnel politique élu à la suite d’un vote entre des candidats qui se préparent à faire don de leur vie à la chose publique.
L’expérience décrite maintenant est une des alternatives possibles.
Le 12 décembre 2010, le groupe local d’EELV désigne ses candidats aux élections cantonales par tirage au sort parmi une dizaine de volontaires.
Les militants font campagne sur les thèmes du parti , sans dissimuler le mode de désignation des candidats et la presse locale peut poser un œil curieux sur cette méthode iconoclaste.
Les résultats (10 %) comblent les espoirs du groupe : aucune différence avec les chiffres locaux ou nationaux d’EELV. L’opération est renouvelée aux législatives de 2012 : même constat, les résultats sont en tout point identiques à la moyenne obtenue sur l’ensemble des circonscriptions du pays.
Cette fois, l’affaire est évoquée dans les publications académiques, une jeune chercheuse en politologie vient sur place faire le point avec le groupe concerné, la presse nationale en ligne consacre un article à cette curieuse histoire.
Quel bilan tirer de ce geste fondateur qui pourrait bien révolutionner la vie politique d’ici une ou deux générations ?
1— Les barrages institutionnels partisans :
— La méthode ne fut pas encouragée par l’appareil, mais il ne s’y opposa pas. Il se limita à faire savoir que cette affaire n’était pas à prendre très au sérieux.
En revanche, les conflits sur le plan local furent rudes entre les tenants des méthodes traditionnelles et ceux qui surent convaincre la majorité du groupe local à se jeter à l’eau.
2— La question des militants/sujets :
Dans le système classique de désignation des candidats, les problèmes d’égos compliquent et biaisent les procédures. Les tensions et les rancœurs restent puissantes après l’élection et le travail collectif est rendu pénible, voire impossible.
De ce point de vue, le tirage au sort se révèle :
- Une méthode apaisante qui rend légères voir absentes les blessures narcissiques.
- Le travail collectif — indispensable aux militants — est facilité par cette conviction que l’on ne travaille pas entre concurrents aux postes de pouvoir, mais avec des pairs dont l’un — vous par exemple — pourrait être choisi, au hasard, pour représenter ses concitoyens.
— Elle permet la découverte de personnes peu charismatiques, redoutant la prise de parole en public, mais qui, à l’usage, se révèle d’excellents élus.
— Elle est aussi un pari : des personnes tirées au sort sont plus neutres et plus rigoureuses dans l’étude des problèmes que celles motivées par l’ambition personnelle.
— Enfin, la méthode permet d’écarter – à coup à peu près sûr — les aspirants à l’exercice professionnel des mandats qui leur sont confiés.
3— Limites de l’exercice :
Il s’agit bien de démocratie représentative. La démocratie directe est certes jouable à plus long terme grâce à l’ahurissant développement des réseaux sociaux comme de l’usage de plus en plus sophistiqué de la toile. (Si d’ici là les petits cochons radioactifs ne nous ont pas mangé), mais c’est une autre histoire.
4— L’échantillon :
Le tirage n’est pas effectué sur l’ensemble des inscrits des listes électorales, il s’opère à partir d’un ensemble constitué de citoyens intéressés par la vie de la Cité ., qui payent une cotisation et assistent régulièrement aux réunions de travail de leurs organisations.
Le tirage au sort est donc bien opéré sur une population de militants politiques volontaires. À l’instant où ils/elles s’inscrivent, les règles du jeu leur sont connues. Ils savent qu’ils peuvent être appelés à siéger dans un des nombreux parlements où des représentants sont nécessaires. (Ils peuvent cependant toujours refuser d’être candidats si le sort les désigne.)
Bien entendu, la désignation aux fonctions exécutives — dans les systèmes actuels — demandera la mise en place de systèmes mixtes : être député demande des qualités différentes de celles nécessaires à l’exercice d’un mandat exécutif.
Il ne faut pas attendre d’une classe politique aux affaires qu’elle modifie aussi profondément ses modes de reproduction. Seule la pression opiniâtre des « gens d’en bas » y parviendra.
- Par l’intermédiaire de leurs organisations syndicales ? Qui se souvient d’avoir été invité à participer à une manifestation sur ce type de problème ?
- D’ONG pugnaces, genre « défense des citoyens » ? Inconnues.
C’est à l’intérieur des organisations politiques dans chaque section, dans chaque groupe local, que doit essaimer cette révolution joyeuse.
Engagé le 12 décembre 2010 dans l’ancienne capitale d’Austrasie, le bouche — à — oreille des réseaux sociaux doit la populariser grâce et pour des militants décidés à ne plus accepter d’être instrumentalisés dans les procédures de désignation des candidats aux fonctions de pouvoir.
Concluons. Un certain nombre s’interroge sur la pertinence à réduire la démocratie à la seule démocratie représentative. C’est entendu, mais c’est aussi une autre histoire.
Dans l’urgence — pour éviter le « piège à pauvres » du mouvement social salvateur et ses très probables tyrannies —, il est proposé de préserver le dispositif représentatif et d’en faire le meilleur usage possible.
Parmi les mesures à notre portée : créer une représentation citoyenne qui ne considère plus comme un métier l’exercice du mandat que nous lui avons confié.
Cette transformation révolutionnaire de l’usage des partis politiques peut être une des forces d’attraction de notre mouvement qui — bien entendu — se l’appliquera à tous les niveaux utiles.
Pierre - André Achour
Groupe local de Metz
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