LA PROFONDEUR DU REGARD, LA DETERMINATION, L’ENVOL PEUT-ETRE ? (Lucile Schmid)
Ne pas renoncer, regarder au loin et convaincre inlassablement. Il faut être fort pour porter l'écologie en période de crise, aujourd'hui. C'est une question de pensée, un choix de comportement démocratique, un espoir politique surtout.
Une question de pensée d'abord. Qui n'a pas remarqué qu'entre ceux qui réfléchissent et le monde dit politique l'écart n' a jamais été aussi grand? On l'entend de plus en plus comme une évidence"les hommes politiques ne lisent pas, pour leur faire comprendre quelque chose écrivez une fiche, mieux allez leur parler.." Comme si une fatalité s'était abattue sur ce monde aux règles mystérieuses d'où s'échappe par bouffées des ondes de violence et de corruption. Et que nous devions nous y conformer. Un homme politique ça ne pense pas, ça communique et ça incarne. Bof. Et si ce n'était pas vrai? Et si nous en avions tous marre du formatage, des slogans, des clivages en noir et blanc et de ces Men in black même pas funny.
L'écologie politique est une famille qui ne peut se passer de pensée, de questionnement existentiel, de lecture, d'écriture et de profondeur. Pourquoi plus que les autres? Sans doute parce que les liens entre écologie et politique sont moins évidents à coup sûr que pour d'autres familles, socialisme, communisme, libéralisme. Que d'ailleurs la forme politique de l'écologie est moins assurée, que nos discussions incessantes sur les liens avec les associations, le mouvement social, notre attachement à tout ce qui transcende l'espace national, des identités régionales aux nouvelles frontières internationales, obligent à un esprit d'alerte intellectuel que beaucoup de ceux qui appartiennent à d'autres familles politiques auront perdu en cours de route lors de leur ascension vers le pouvoir. Je me rappelle il y a 15 ans, au moment où j'avais écrit un premier livre sur le sujet brûlant de la politique de la France en Algérie, avoir entendu mon directeur au ministère de l'économie à l'époque m'expliquer qu'entre écrire des livres et faire carrière il fallait choisir. Je me rappelle aussi avoir à cette période (1996) rencontré Daniel Cohn Bendit et mené une enquête sur les lanceurs d'alerte aux Etats-Unis. Aujourd'hui je me dis que ce n'était pas des coïncidences. La profondeur du regard est inhérente à l'écologie politique; elle décrypte la normalité apparente, met à nu les conflits d'intérêt, dérange les habitudes et les systèmes établis. Parfois, comme dans mon histoire personnelle, l'évidence apparait plus tard, comme les morceaux d'un puzzle qui s'assemblent.
Nous vivons un moment de dévoilement de la portée des propositions écologiques comme force de transformation sociale. Qui ne se rappelle de la campagne de presse haineuse contre la transition énergétique lancée par Henri Proglio et Jean François Copé en 2011 après la signature de l'accord entre Europe écologie-Les Verts et le parti socialiste? L'écologie acquiert de la force, la transition vers un autre modèle se profile, les résistances s'accroissent et c'est bon signe. C'est la profondeur de notre regard qui nous permettra de mesurer toutes les dimensions en jeu dans cet affrontement et de les faire apparaître. L'écologie est une nouvelle frontière démocratique.
Sur ce front démocratique, le sujet du comportement personnel de ceux qui font de la politique n'est ni secondaire, ni simple à résoudre. "L'affaire Cahuzac" n'est pas un épisode qui peut se refermer avec la démission faussement contrite d'un homme. De longue date, les études d'opinion montrent la méfiance des Français à l'égard de leurs élus sur le sujet de l'honnêteté au sens large, qu'il s'agisse de l'usage du mensonge et des accommodements avec la vérité, et plus particulièrement de la relation à l'argent. Retrouver l'esprit démocratique c'était aussi cela l'aventure d'Europe écologie en 2009, éveiller l'envie d'engagement et de solidarité qui aujourd'hui reste lovée au fond de la conscience de chacun, talent inutile, trésor enfoui sous des années de passivité et de lassitude. La professionnalisation de la politique, le sentiment que la communication est là aussi pour faire oublier une perte de pouvoir dans la mondialisation du courtermisme et de la finance, la peoplisation en lieu et place des idéologies, sont autant d'obstacles à la vitalité démocratique. Pour nous écologistes, l'organisation démocratique est liée à l'exemplarité et au respect des principes de non cumul des mandats, de parité, de compte rendu devant les électeurs, de travail en amont avec les associations, ou les experts citoyens. Mais ce sont d'autres dimensions encore qui sont en jeu pour l'avenir: le renforcement du droit et l'évaluation de son application, l'indépendance des médias et l'organisation du débat public, le réveil du désir démocratique, qu'il s'agisse de vote, de participation, de candidature aux élections, d'exercice des responsabilités associatives. S'il est essentiel de mieux garantir le respect des règles, nous devons aussi porter l'enthousiasme et la créativité qui sont la marque de fabrique écolo. D'autres visages, un élan, la joie de dire non à l'oppression. L'écologie est une émancipation.
Qu'est-ce qu'un espoir politique en temps de crise profonde, lorsque le chômage galope, que la gauche de gouvernement bute une fois encore sur la contradiction entre projet et réalisme, qu'il est chaque jour question de jeunesse sans lui donner la parole? Certainement de porter haut le discours de transformation. L'insupportable aujourd'hui est d'entendre affirmer qu'il n'y a pas de choix. Pas de choix que de réduire la dépense publique à l'aveuglette comme si en soi la dépense publique était entachée..d'être publique. Pas de choix que de reprendre une politique d'expulsion des migrants inhumaine comme si le racisme ordinaire était une fatalité. Pas de choix que de renoncer à porter l'idéal européen parce que chaque nation, et d'abord l'Allemagne, va se replier sur son identité et ses intérêts économiques. Les écologistes portent d'abord l'espoir politique d'autres choix. Celui de l'innovation économique et de l'investissement public, celui d'une société qui n'a pas peur d'elle-même, celui d'une parole politique libre loin des hiérarchies et des privilèges rancis, loin de cette vieille France des "ex", où l'on porte son titre de ministre toute sa vie, où l'on est élu député pendant 30 ans et où on étouffe la différence.
L'envol de l'écologie que je souhaite c'est celui de ce souffle politique que je sens grandir, différent, plus puissant peut-être car il prend le risque de porter enfin ce qui n'a jamais été dit.
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