La priorité aux villes ? (Véronique Moreira, Vice Présidente Rhône Alpes)
Le temps de la crise, c’est, selon la définition de Myriam Revault d’Allones, le temps de la pause, de la réflexion critique, pour permettre la décision la plus adéquate concernant notre avenir.
Une opportunité, en somme, pour mettre à plat les modes de fonctionnement, évaluer les priorités et permettre les choix les plus judicieux pour répondre aux enjeux cruciaux, préserver le futur, anticiper les bouleversements.
Pourtant, dans les faits, la crise, qui bouleverse tous les équilibres sociaux, politiques, économiques de nos sociétés « évoluées », n’encourage pas la réflexion approfondie ni l’émergence de solutions nouvelles mais au contraire favorise les positions les plus conservatrices, convergentes et conformes aux principes et au vocabulaire de l’économie néo libérale : benchmarking, gagnant-gagnant, le vocabulaire libéral infuse la réflexion et les discours politiques, y compris ceux de la « gauche » au pouvoir, démettant le politique de toute faculté d’impulsion et le poussant à adhérer et à adopter les théories et concepts de l’entreprise libérale.
Le principe de réalité, ce fameux principe qui observe les grandes tendances et s’y conforme, prévient toute forme d’innovation, de pensée critique ou alternative.
C’est ainsi que, soucieux de répondre aux préoccupations des citoyen/nes francais/es et européen/nes, les gouvernements locaux et nationaux déclarent leur légitime volonté de soutenir l’emploi et renforcer le retour à une mythique croissance, mais s’appuient sur les échanges Nord Sud et les politiques de développement pour ouvrir de nouveaux marchés.
Politiques de développement qui ne devraient pourtant avoir comme justification que les principes de justice, de responsabilité, d’universalité des droits, mais qui deviennent ainsi, comme elles l’ont finalement toujours été, un appui au développement de nos propres emplois et de notre propre qualité de vie.
C’est ainsi que, observant les exodes ruraux, les migrations vers les villes et les phénomènes de métropolisation, ce fameux principe de réalité, repris par les élu/es de tous bords, tend à prioriser les questions urbaines, à y concentrer la majorité des financements publics et l’essentiel de la vision politique. On peut d’ailleurs se demander s’il s’agit vraiment de vision politique, courageuse, prête à porter des initiatives innovantes, un projet de société plus juste, ou s’il s’agit de vision technocratique, habile à s’adapter aux moules pour trouver des réponses adaptées au probleme ponctuel, sans réelle vision à long terme.
Certes, il est difficile d’ignorer le phénomène d’exode vers les villes, et indispensable de penser l’organisation de la métropole, de lutter contre les bidonvilles, de permettre l’accueil digne des nouveaux arrivants, de créer des conditions de vie décente, de préparer l’ adaptation au changement climatique, et de lutter contre ses effets.
Mais n’obère t on pas une partie de la réflexion si l’on se contente de constater une réalité sans en comprendre les causes et les effets ?
Si les métropoles sont si convoitées, c’est aussi parce que les paysan/nes fuient les campagnes, car ils sont dans l’incapacité de vivre et de faire vivre leurs familles à partir de leurs productions.
Comment en effet vivre de la production de lait de son troupeau quand les laits européens industriels inondent les marchés sénégalais à des prix compétitifs ?
Comment vendre le riz produit péniblement avec peu de matériel alors que le démantèlement des barrières tarifaires et la suppression de toute forme d’intervention publique -suite aux programmes d’ajustement structurel des années 80- renforcent la concurrence avec le riz d’importation, subventionné ou provenant d’anciens stocks de sécurité ? Et l’absence ou l’efficacité des politiques alimentaires au niveau des Etats (plus préoccupés à nourrir les populations urbaines à moindre coût quels que soient les risques futurs) contribue grandement à maintenir ces politiques commerciales.
Pourtant, ce sont les paysan/nes locaux qui peuvent nourrir les villes totalement improductives et avides d’aliments bon marché, vite prêts.
Selon Mohamed Coulibaly, Vice Président du Réseau des Organisations Paysannes d’Afrique de l’Ouest, « l’assiette est le premier niveau de la politique », c’est là que se jouent les questions de santé, de développement, de qualité de production, de respect des écosystèmes, d’aménagement du territoire.
Concurrence internationale, dérégulation des marchés, financements priorisés sur les zones urbaines, ces facteurs amènent un exode massif, la création de zones de non droit en périphérie des villes.
Si l’on veut réellement contribuer à un aménagement et à un ménagement durable des territoires, alors il est indispensable de porter une attention aux zones rurales, de penser des politiques de retour des services de base, de soutenir l’agriculture paysanne et les petit/es producteurs.
Au niveau local, soutien à l’investissement des agricultures paysannes (petit matériel, semences, accès à l’eau, organisations collectives, lieux de stockage, marchés locaux et sous régionaux), à la formation en agro écologie.
Au niveau international, mise en place de protections tarifaires, de droits de douane, de soutien à la souveraineté alimentaire des états en fonction de leurs propres ressources et de leurs capacités.
S’il est vrai que 51% de la population mondiale vit dans les villes, il n’en reste pas moins que 49% vit dans les campagnes, population qui ne sait pas si elle peut rester, comment et à quel prix.
La focalisation des moyens sur les métropoles, l’observation du principe de réalité sont une réponse partielle aux problèmes planétaires.
C’est l’expression de ceux qui prennent la parole, citadins éduqués, et de ceux à qui ils s’adressent, aux dépens des petits, des muets, tout occupés qu’ils sont à lutter contre la pauvreté, contre les difficultés d’accès à la santé, à l’éducation, contre la débâcle des services publics dans des territoires délaissés.
Si l’écologie politique s’appuie sur une conception globale d’un monde commun, sur la volonté de créer de l’universel en matière d’enjeux, de droits, de reconnaissance, comment pourrait-elle limiter les réflexions à une forme d’organisation, à un seul système social ? Il est temps de prendre en compte les mondes que nous ne connaissons pas, d’élargir la vision, de sortir du champ de l’immédiat et du pragmatique pour penser le monde de demain.
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