A Nous De Jouer !

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Déconstruire les représentations de la pensée coloniale en Europe (Jean Jacob Bicep député européen)

 

 

L'Europe a dû se construire jusqu'à aujourd'hui sans avoir le consentement et l'adhésion populaire. Or il y a plusieurs menaces qui pèsent sur le projet européen notamment un populisme qui s'accompagne d'un rejet de l'autre, « l'autre » désignant souvent les héritiers des migrations ou ceux des citoyens européens issus des anciennes ou actuelles colonies dont la couleur de peau est différente.

 

La France, en particulier, vit actuellement la montée de l'extrême droite, ce qui nous rappelle les pires pages de notre histoire.  Daniel Lindenberg dans son livre : « Rappel à l'ordre » décrit la montée en puissance des nouveaux réactionnaires. Ces réactionnaires agissent dans le monde de la culture, des idées, des médias et finissent par impacter sur la base populaire et se développent ainsi des idées racistes et xénophobes. L'histoire récente nous rappelle que la crise économique peut induire les pires comportements.

 

Nous pouvons par ailleurs ajouter à cela un contexte de refondation des idées de gauche qui induit des nouvelles formes de militantismes éclatés et souvent selon des logiques d'appartenance non fondées sur des logiques de classe. Aujourd'hui en France par exemple les idées de gauches sont majoritaire dans la "middle class" et minoritaire dans la "working class" qui votent elle majoritairement pour des candidats d'extrême droite.

 

Pour le sociologue, Lipovetsky, nous voyons s'affaiblir  des modes d'engagement collectif au profit de comportement individuel : « À coup sûr, tout ne date pas d'aujourd'hui. Depuis des siècles, les sociétés modernes ont inventé l'idéologie de l'individu libre, autonome et semblable aux autres. Parallèlement, ou avec d'inévitables décalages historiques, s'est mise en place une économie libre fondée sur l'entrepreneur indépendant et le marché, de même que des régimes démocratiques. Cela étant, dans la vie quotidienne, le mode de vie, la sexualité, l'individualisme jusqu'à une date récente s'est trouvé barré dans son expansion par des armatures idéologiques dures, des institutions, des mœurs encore traditionnelles ou disciplinaires-autoritaires. C'est cette ultime frontière qui s'effondre sous nos yeux à une vitesse prodigieuse. Le procès de personnalisation impulsé par l'accélération des techniques, par le management, par la consommation de masse, par les médias, par les développements de l'idéologie individualiste, par le psychologisme, porte à son point culminant le règne de l'individu, fait sauter les dernières barrières » .

 

En tant que politique ce constat nous invite à faire preuve de vigilance concernant la pluralité des sociétés européennes et leur histoire tumultueuse. La mémoire est ce passé au présent comme disait François Chalais ; ce qui signifie qu'il y a un imaginaire profond, parfois inconscient, qui perdure. Pour nous autres européens, il y a un enjeu : celui du vivre-ensemble. Comme l'affirme Amin Maalouf, il y a un enjeu majeur autour des immigrés : « C'est d'abord là, auprès des immigrés, que la grande bataille de notre époque devra être menée, c'est là qu'elle sera gagnée ou perdue. Ou bien l'Occident parviendra à les reconquérir, à retrouver leur confiance, à les rallier aux valeurs qu'il proclame, faisant d'eux des intermédiaires éloquents dans ses rapports avec le reste du monde ; ou bien ils deviendront son plus grave problème ».

 Aux immigrés économiques classiques, il faudra désormais ajouter les réfugiés climatiques, victimes du modèle consumériste mondial dont l'Europe est l'un des promoteurs. Eux aussi majoritairement issus des pays du sud vont représenter un défi pour l'Europe aussi bien moral que philosophique.   

 

Le philosophe, Édouard Glissant, nous enseigne que : " La notion même d'identité a longtemps servi de muraille : faire le compte de ce qui est à soi, le distinguer de ce qui tient de l'Autre, qu'on érige alors en menace illisible, empreinte de barbarie. Le mur identitaire a donné les éternelles confrontations de peuples, les empires, les expansions coloniales, la traite des nègres, les atrocités de l'esclavage américain, et tous les génocides."

S'inspirant de  l'image développée par Deleuze et Guattari pour formuler la notion d'identité multiple ou d'identité rhizome avec l'image de la racine unique qui tue autour d'elle au contraire de la racine multiple dont les éléments se renforcent mutuellement. Glissant oppose donc l'identité à racine unique et l'identité rhizome, celle des peuples métissés, en lien avec le phénomène de créolisation. Ce n'est pas une absence de racine, c'est une racine multiple."

 

Pour cela, il faut commencer par dépassionner la question de l'identité, il faut pour ce faire un travail européen sur la mémoire.

 

 "Si les lions avaient des historiens, les histoires de chasse ne seraient pas toutes à la gloire des chasseurs"

 

René Rémond affirme que : « Si l'on voulait réduire l'histoire du monde depuis deux siècles à quelques éléments majeurs, il faudrait assurément retenir la décolonisation.» Pour le géographe Yves Lacoste : "la question postcoloniale est un problème grave qui se pose à l'ensemble de la nation". Il parle bien évidemment de la nation française mais par extension, c'est un problème européen.

 

L'Europe, d'après la Renaissance va se lancer dans une aventure qui va redéfinir considérablement les équilibres mondiaux, la colonisation et certains pays européens vont bâtir des empires mondiaux, c'est-à-dire sur l'ensemble des continents. Dans ce domaine les portugais seront les pionniers.

De cet élan, lié à une avancée technique, notamment de navigation, les européens vont s'établir dans un premier temps dans des comptoirs puis à l'intérieur des terres.

 

La question économique est au cœur du phénomène colonial, à travers une économie basée sur l'exploitation des richesses naturelles et le transfert de population pour la main d'œuvre.

 

Mais le corpus idéologique de la colonisation tire sa source de la philosophie des lumières. Car comment justifier l'injustifiable sinon en le déguisant. À cette occasion, il se développera une vision idéologique du rôle de la civilisation européenne. Ainsi, pour Jules Ferry, à qui François Hollande a rendu un hommage le jour de sa prise de fonction en tant que président : "Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures".

 

Ce regard particulier continue d'exister aujourd'hui dans les imaginaires. Il conduit au phénomène de discrimination et à des discours d'exclusion des ex-colonisés.

 

Il nous faut, nous écologistes dans ce contexte, nous promouvoir une culture de la reconnaissance à travers les idées, l'histoire et la culture. Et pour ce faire le niveau est le niveau pertinent car l'ensemble des sociétés européennes ont été traversées par la tentation coloniale et son idéologie.

 

L'Europe s'est construite sur cette ambivalence entre un fort attachement aux droits de l'homme à l'intérieur de ses frontières et un mépris pour ces mêmes droits dans le reste du monde.

 

Ce qui faisait dire à Albert Memmi : " Tout colonisateur, même le "petit Blanc", même le colon « de bonne volonté », ne peut être qu'un privilégié, fût-ce relativement, par rapport aux indigènes ; et il est toujours un « usurpateur », puisque ses privilèges ne sont pas légitimes, et il le sait. D'où, d'une part, une mauvaise conscience, qui atteint son paroxysme chez l'homme de gauche, qui est déchiré par ses contradictions, qui ne sait comment se situer face au système colonial, qui est mal à l'aise par rapport aux revendications nationalistes des colonisés, et qui sait pertinemment qu'il n'aura pas davantage sa place après l'indépendance. Et, d'autre part, un mépris de soi, du fait de sa médiocrité, consubstantielle au système colonial, qui incite le colonialiste à s'appuyer sur son prétendu patriotisme et sur le prestige de la métropole pour essayer de se justifier à ses propres yeux ; conformément à ce que Memmi appelle le « complexe de Néron », il recourt aussi à tous les stéréotypes racistes, qui sont autant de mystifications visant à naturaliser l'oppression et à dresser des barrières inamovibles entre les races. Ce faisant, il manifeste des tendances fascisantes, qui risquent de contaminer la métropole."

 

Il nous faut donc une meilleure connaissance de l'histoire et de nos mémoires au niveau européen cela permettrait de reconnaitre la pluralité de sa composition et de lutter contre les discriminations qui sont un cancer dans nos sociétés, et de combattre les idéologues qui attise des idées extrémistes. Dans cet optique je suis à l'origine d'une déclaration écrite visant à l'instauration d'une journée européenne pour la reconnaissance de l'esclavage et de la colonisation européenne. Il s'agit de donner envie aux Européens de se pencher sur les questions de mémoire  qui concernent l'ensemble du continent. Cela ne se fera pas en un jour mais c'est la aussi le rôle de l'école qui a vocation à former des citoyens, et pas seulement des salariés, elle doit intégrer cette nouvelle dimension et inciter les Européens à développer dès le plus jeune âge une vision politique continentale, et plus seulement nationale.

 

Cela passe d'abord par une attention nouvelle donnée aux enjeux proprement européens dans les enseignements donnés. Par exemple, traiter de ces questions à travers une vision européenne.

 

Améliorer la représentativité car même l'Europe promeut une représentation égalitaire des États, a contrario, d'ailleurs, des objectifs fixés par le traité de Lisbonne. Mais les choix opérés librement par les États sont rarement à la hauteur des enjeux. Souvent constituées par d'anciens responsables politiques nationaux, les équipes des commissions successives ne font pas de place aux jeunes ni aux minorités.

 

Il y a une portée symbolique car cela permettrait d'engager un dialogue depuis une institution politique nouvelle : pas de rancœur attachée à cette institution et signe de la volonté de construire l'avenir.

 

À cela, nous pourrions ajouter qu'il faut dépasser le cadre de la 5ème république et l'État-nation qui fige les appartenances identitaires dans des carcans.

 

J'en veux pour preuve le renoncement quant aux langues régionales en France par non-ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. C'était une promesse de campagne de François Hollande. Aujourd'hui, des citoyens ne peuvent pas s'exprimer dans leur langue maternelle auprès des administrations.

 

Au niveau européen le modèle doit être revu, avec un nouveau pouvoir législatif, qui pour le moment est détenu par la commission et le conseil. Cela permettrait d'approfondir le processus démocratique. Au niveau des appels à projet, il faudrait qu'un certains nombres contiennent l'idée de favoriser la pluralité et de permettre de réparer les séquelles vivaces encore du colonialisme.

 

Ces initiatives doivent être soutenues par tous les mouvements politiques, au premier rang desquels EELV et les partis politiques progressistes car dans une société de l'image et du spectacle, la reconnaissance de ce passé permettra de mieux se confronter aux réalités du présent, sans tabous et avec un profond sens de l'égalité et de la justice.

 



09/06/2013
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